Quantcast
Channel: Chez Tony
Viewing all articles
Browse latest Browse all 11

Le décès annuel de Wikipédia

$
0
0

Comme chaque année après Wikimania, les esprits s’enthousiasment. Esprits des journalistes, tout d’abord, qui se réjouissent de pouvoir annoncer avec fierté la mort prochaine de Wikipédia et la relaient dans maints articles bourrés d’erreurs et de lieux communs. Esprits des Wikipédiens (enfin, d’une partie, de plus en plus), qui clament que tout va bien ou presque, et que de toute façon, on a plein de solutions pour tout résoudre. Bref, l’époque est propice à un billet facile, alors pourquoi pas moi ? Je vais donc m’en donner à cœur joie et vous proposer mon bilan annuel de Wikipédia. Les fossoyeurs et les optimistes indécrottables peuvent remballer leurs pelles ou leurs bouteilles de mousseux : mon billet n’ira, je l’espère, ni dans un sens, ni dans un autre, et tout le monde le trouvera par conséquent extrêmement biaisé et malhonnête.

 

Le mythe de la chute des contributeurs ?

 

C’est l’éternel marronnier Wikipédien : chaque année, on le ressasse, Wikipédia perd des contributeurs et va donc s’éteindre par K.O. Et chacun y va de ses statistiques, de ses chiffres. Les uns clament que « non mais vous déconnez sec là, on a encore X000 contributeurs qui font plus de 5 édits dans le dernier mois, on fait péter l’audimat, alors arrêtez vos conneries ! » ; les autres que la tendance générale stagne/baisse. Et tout le monde se prend les pieds dans le tapis. Comme toujours, pour faire « bien », on prend du chiffre. Le chiffre, ça parle, le chiffre ça ne ment pas ; un peu comme quand on parle du nombre d’articles (on y reviendra). Le nombre, c’est bien. Mais la qualité ?

5 édits dans le mois, c’est à peu près ce qu’il faut au vandale moyen pour faire un mini conflit d’édit. C’est ce qu’il faut au Nième faux-nez d’un Calcineur pour se faire repérer. C’est ce qu’il faut à un troll pour lancer une discussion foireuse. Bref, 5 édits, ça veut tout et rien dire. C’est un peu comme si un magasin calculait son chiffre d’affaires en fonction du nombre de personnes qui regardent sa vitrine au lieu de se fonder sur les achats : ça booste certainement ses statistiques, mais ça ne reflète pas sa vraie santé. Combien de ces « contributeurs actifs » ont fait des modifications constructives ? Combien ont véritablement amélioré un article sans nous servir de la bonne vieille autopromo, du bon vieux POV-pushing ?

Et là, toute personne honnête reconnaîtra qu’on ne peut tirer que des tendances subjectives. Recenser les contributions positives est impossible. Et la qualité de Wikipédia ne peut s’évaluer que par un carottage aléatoire et forcément biaisé. Il en va de même pour les contributeurs. Reste que le nombre ne change pas grand chose. La question de savoir combien de contributeurs jettent, plus ou moins définitivement, l’éponge, serait déjà plus pertinente. Des gens comme Pierrot et moi-même l’ont déjà plus ou moins posée, sans obtenir de réponse bien mesurée. Soit les départs étaient inéluctables (voire même heureux, aux yeux de certains) et témoignent de la décrépitude de WP, soit « tout va bien, personne n’est irremplaçable, alors arrêtez, sales oiseaux de malheur… » Belle façon d’éluder une question pourtant de plus en plus bouillante.

 

Attirer les nouveaux, encore, toujours…

 

Comme toujours, et comme le rappelle Moyg dans son récent billet, une fois qu’on a évoqué le coup du « Wikipédia va mourir faute de contributeurs », on évoque Zorro, le sauveur d’encyclopédie : l’interface WYSIWYG. En d’autres termes : « si Wikipédia va mal, c’est avant tout parce que personne n’ose l’éditer, mais une fois que l’interface sera plus engageante, tout le monde s’y mettra, vous verrez, comme pour les blogs. » Parce que oui, le WYSIWYG, c’est à double tranchant. Souvenez vous de l’ère qui a précédé les blogs : on y trouvait déjà des sites pourris, mais il fallait persévérer pour les créer. Les blogs ont changé cela, certes, mais ils ont aussi ouvert la porte à un génocide orthographique sans précédent sur le web. Le WYSIWYG, ce sera certainement une avalanche de nouveaux contributeurs… mais ce sera aussi une avalanche de vandales qui n’auront même plus à réfléchir une minute avant de comprendre comment on modifie. Le souci étant que, généralement, le quotient intellectuel du vandale est sensiblement moins élevé que celui du rédacteur potentiel. Comprenons par là qu’à mon avis, l’interface actuelle décourage au moins autant de vandales que de bons contributeurs. L’entrée en service d’une interface plus accessible sera certainement intéressante… mais il faut souhaiter que les patrouilleurs n’auront pas tous été dégoutés d’ici là : on aura besoin d’eux.

On peut par ailleurs se demander s’il est si difficile de contribuer à Wikipédia. Je n’ai aucune formation informatique, j’ai toujours été un boulet dans ce domaine, il ne m’a pas pour autant fallu bien longtemps pour y écrire. Les personnes à qui j’ai appris à utiliser Wikipédia ont rapidement assimilé les bases du code, malgré un rapport à l’informatique souvent conflictuel. Si elles ont  laissé tomber, c’est surtout par manque de temps, et, plus gênant pour Wikipédia, de motivation ou d’encouragement. J’ai souvenir d’une de mes « protégées » qui, demandant en page de discussion d’un « gros » article dans son domaine de compétence si des gens pouvaient l’aider à le reprendre, ayant peur de s’y lancer elle-même, s’est vu répondre un sec « n’hésite pas. » Pas d’aide, pas de conseil : « je te laisse les clés et tu te démerdes » ! Mieux aurait valu ne rien répondre, d’autant que si hésitation il n’y avait pas eu, il y a fort à parier que les premiers pas maladroits auraient connu réverts ou commentaires hautains. Le problème est peut-être aussi que le Wikipédien est un peu sauvage, mais qu’y peut-on !

Ah, et puis il y a la petite idée surgie comme une fleur cette nuit, d’un article du Point : proposons aux lecteurs de noter les articles ! (oui, comme le gros truc pas beau qu’on voit en bas des articles en anglais). La tendance Facebookienne est malheureusement ce qui me revient quand on parle de ça, d’autant que dans les faits, on propose déjà aux lecteurs de commenter les articles… en page de discussion. Bizarrement, seuls les trolls en trouvent généralement le chemin (mais ce ne sont pas toujours les seuls !). Mais comme visiblement, ceux qui ne sont pas enthousiastes à l’idée ne l’ont pas comprise ou sont malhonnêtes, on peut s’attendre à un débat d’idées intéressant !

 

Trop de bandeau tue le bandeau et ainsi de suite

 

Si l’on s’en tient au bilan succinct présenté récemment sur le bistro (et mieux vaut s’en tenir si on veut éviter les qualificatifs agréables sur Twitter), un des problèmes mentionnés est le gros nombre de bandeaux sur les articles qui rebuterait le contributeur. Oui, mais non. Cet excès de bandeaux dégoûte très certainement le lecteur, qui se demande fort probablement ce que c’est que « ce site de guignols où on voit des bandeaux partout indiquant que les articles sont pas finis » (un non-Wikipédien m’avait un jour tenu ces propos que je retransmets donc textuellement puisque leurs avis nous intéressent !). Mais si le bandeau n’avait pas été là, l’article aurait-il été plus fini ? Un article non neutre devient-il neutre lorsque le bandeau disparaît ? Un article non sourcé gagne t-il ses sources parce qu’on enlève son bandeau ? Si vous avez répondu oui, votre perception de la vie doit être particulièrement réjouissante. En revanche, ces bandeaux contribuent à l’identité de Wikipédia comme un « work in progress », un projet (même si, visiblement, le terme serait dénigrant pour certains), qui ne sera certainement jamais achevé, mais invite chacun à l’améliorer. Enlever les bandeaux, c’est, finalement, sombrer dans l’autosatisfaction et refuser l’aide du contributeur potentiel, ou du moins, ne pas la lui demander. Ce serait perdre une des grandes qualités de Wikipédia : son esprit critique envers ses articles. Ce serait dommage : Wikipédia n’est pas une source sûre pour tous les domaines, mais c’est une véritable école pour apprendre l’esprit critique et la vérification de ce qu’on lit. Gommer cet aspect serait pour le moins stupide.

Il semblerait également que les critères d’admissibilité gênent également le contributeur débutant. Inutile de le cacher, j’ai moi même connu la terrible « peur de la PàS » lors de la création de mes premiers articles. J’entends même dire que certains contributeurs aujourd’hui éminents ont vu leurs premiers articles supprimés, et y ont survécu ! C’est un fait, parmi les nouveaux potentiels, on trouve un bon nombre de gugusses venus faire la promotion de leur groupe qui a joué à la fête du village de Chimoux la Vallée ; de leur candidat qui va arriver dernier dans la deuxième circonscription de la Lozère aux prochaines législatives et ainsi de suite. C’est certainement ce genre de gugusses que l’on ne découragerait plus en assouplissant ou supprimant les CAA. Wikipédia gagnerait certainement à attirer ce genre de contributeur, il est vrai. Avec tout ça, je n’ai plus qu’à rentrer au club des WikiBoulets !

 

Les 4 millions ! Les 4 millions !

 

À côté de ça, bien entendu, il y a l’ovation pour le passage du cap des 4 millions d’articles de la Wikipédia anglophone. Inutile de s’étendre là dessus, le problème n’est pas nouveau et Argos42 nous avait déjà donné la solution il y a un an pour enfin dépasser WP:en. Il est tout de même triste que le principal indicateur de la santé de Wikipédia soit son nombre d’articles, son nombre de contributeurs, sans que l’on cherche à savoir ce qui se cache derrière ce nombre. Quel livre serait évalué à son nombre de pages ? « 100 pages, c’est une bouse, 500, ça devient un roman de gare sympathique, et si tu dépasses les 2000, tu as fait un travail de grande qualité ! » L’annuaire deviendrait alors le summum de la qualité littéraire. Si un morceau musical s’évaluait à sa longueur, ceci mettrait la misère à Mozart ! Un raisonnement qui semble ahurissant pour tout média devient soudainement tout à fait logique pour Wikipédia. Quant au principe de qualité, c’est l’arme des rabat-joie, des mauvaises langues, des fouteurs de merde qui n’ont rien compris à Wikipédia. Des « fâcheux » , comme « on » le disait encore hier sur Twitter.

C’est pourtant un léger souci sur lequel il pourrait être intelligent de réfléchir l’été prochain. On glorifie la quantité : pourquoi pas. Certains ont prouvé qu’il était tout à fait possible, avec un script, de créer des articles à la pelle sans trop se prendre le chou, en pompant une base de données ou une autre. Soit. D’autres, dans le même temps, consacrent des heures à polir quelques articles, à les travailler, les sourcer, les amener à maturité. Nul n’a, jusqu’à présent, inventé de script pour faire ce travail. Les premiers sont glorifiés lorsque l’on célèbre les 4 millions d’articles de Wikipédia. Les seconds, par contre

 

Et moi dans tout ça ?

 

J’ai aimé Wikipédia. J’y ai consacré des heures. Des jours. J’ai créé des projets, je m’y suis fait des amis, j’ai vanté ses mérites, défendu ses travers, parfois dans des coins plutôt nauséabonds, pendant plus de deux années, l’encyclopédie en ligne a occupé une bonne part de mon temps sur Internet, et avec plaisir. Plaisir que j’avais à partager mes passions, à essayer de fournir un travail propre et fouillé. Un travail dont je reste d’ailleurs fier. Pendant longtemps, mes proches m’ont vu comme « le gars qui est sur Wikipédia ; celui qui sait comment ça marche et à qui on pose les questions. » Aujourd’hui, non seulement je n’en parle plus, non seulement je ne mentionne plus le travail que j’y ai fait, mais surtout, je ne conseillerais à personne de contribuer.

Pourquoi ? Une usure et une lassitude dues au temps, très certainement, mais pas que. J’ai déjà mentionné dans mon précédent billet le désarroi que l’on peut ressentir en tant que rédacteur et une certaine impuissance face au devenir du travail fait. Mais il y a surtout un sentiment plus fort : celui d’un dénigrement total par certains un peu trop bien vus par la « communauté » pour que cela s’ignore. Wikipédia est, on ne peut le nier, une communauté avec ses jeux d’alliances, ses copinages et ses oppositions fortes. Ceux qui nient leur existence en sont souvent les principaux acteurs. Bien sûr, les plus optimistes (ou les plus impliqués), diront, pour se donner bonne conscience, que ça n’impacte pas les articles. Sauf que si, puisque les conflits larvés s’exportent souvent sur les articles (« je t’aime pas, donc je vais conserver un article pourri parce que tu veux le supprimer »/ »Je t’aime pas donc je viens discuter contre toi sur un sujet que je connais pas »), parfois par le biais de faux-nez. Et puis ces conflits ont tôt fait d’en dégouter certains, or, un contributeur de moins, c’est des contributions en moins.

Il est triste qu’à partir du moment où l’on prend un position, certains se sentent le droit, de façon plus ou moins anonyme de lancer des anathèmes et de décider que, finalement, un contributeur n’a jamais rien apporté de bon. Malheureusement, on continue à vouloir bâtir un projet collaboratif avec des gens qui n’ont pas tous compris que la collaborer implique parfois avoir affaire à des avis divergents. En général, quand on part dans cette direction, ça finit mal. Voila un sujet qui pourrait être discuté à Wikimania : pourquoi un contributeur qui a pendant longtemps consacré plusieurs heures quotidiennes à Wikipédia, qui il y a à peine six mois, continuait à acheter des livres avec en arrière pensée les améliorations qui s’en suivraient sur Wikipédia, en arrive à se contenter d’y jeter un oeil désabusé, pour voir « les dernières conneries en date » en espérant follement un changement qui ne viendra sûrement jamais.

Au lieu de ça, on préfère attirer des nouveaux par tous les moyens, comme si, finalement, on reconnaissait que tôt ou tard, les contributeurs doivent partir dépités (ou, comme le dit bien justement la satire Wikipédienne, rester mais ne plus apporter grand chose d’encyclopédique), et, plus grave, que le problème n’a pas de solution. En l’état, il semble que les « penseurs Wikimédiens » considèrent l’hémorragie comme inéluctable, et préfèrent chercher du sang neuf plutôt que de panser la blessure. Soit. Wikipédia n’en mourra pas : il y aura toujours des scripts pour atteindre les dix millions d’articles. Mais ce n’est pas avec ça que Wikipédia passera dans les pages culturelles du Monde


Viewing all articles
Browse latest Browse all 11

Trending Articles